« Renzo Jou, c’est ça ? Joyeux anniversaire. »
Assis sur les marches d’un escalier, grignotant un sandwich industriel sans goût, Renzo leva les yeux vers celui qui semblait s’adresser à lui. Il secoua la tête pour balayer ses mèches noires de sa vision, lui permettant de mieux apercevoir la silhouette qui se dessinait devant lui. D’après la tenue qu’il portait, c’était un élève. Il ne pensait pas l’avoir déjà aperçu, ni au détour d’un couloir, ni dans les rues avoisinantes. Le concerné balbutia un remerciement, continuant de manger sans grande conviction son déjeuner. Chaque respiration s’apparentait à un napalm dans ses poumons tant l’air était froid et sec. Ses doigts étaient rougis, sa peau blafarde. L’inconnu avait les mains posées sur ses hanches, la voix forte et un grand sourire incrusté sur le visage, il contrastait en tout point avec le Jou. Il fouilla dans son petit sac qu’il trimbalait et en sorti une cannette de soda qu’il lui lança. Celui aux cheveux noirs leva un sourcil, pas véritablement certain de comprendre d’où venait cette générosité. Néanmoins, il l’ouvrit en silence, relâchant le gaz de la cannette. Il but quelques gorgées tandis que le silence continuait de s’étendre.
« Tu devrais manger à l’intérieur. Même les exorcistes peuvent tomber malade. »
Sans lui demander la permission, l’inconnu s’assied à ses côtés, bouchant définitivement les escaliers à quiconque voudrait monter ou descendre. Heureusement, l’endroit était désert. Renzo avala la dernière bouchée de son repas, engouffrant ses détritus au fond de ses poches et dévisageant par la même occasion le jeune homme à côté de lui. Il coula un regard en coin à son interlocuteur, les yeux plissés. Il tentait de se rappeler où est-ce qu’il avait bien pu l’apercevoir. Il s’étira doucement, comme pour gagner un peu de temps, puis finalement il soupira bruyamment en haussant les épaules, s’avouant presque vaincu.
« Bon, tu veux quoi ? Tu comptes rester là à contempler la vacuité de ton existence encore longtemps ? Même ce sandwich est plus consistant que ta personnalité, alors casse-toi. »
Il sursauta lorsque, à la fin de sa phrase, l’inconnu éclata d’un grand rire. Il ne pouvait cacher sa surprise, affichant une trogne quasi dégoûtée. Quelque chose clochait chez ce type, c’était clair. Son fou rire pris un certain temps à s’éteindre, ne faisant que croître l’agacement du Jou qui s’impatientait de plus en plus face à cet énergumène.
« Ahah, plutôt culotté pour celui qui est spectateur de sa propre vie depuis dix-huit longues années. »
Un désagréable frisson parcourut le dos de Renzo. Son visage s’assombrit soudainement et ses yeux semblèrent envoyer des éclairs. Il se releva, attrapant par le col de son uniforme l’inconnu. Son visage était déformé par la colère. Il paraissait vouloir jouer avec ses nerfs, mais ce n’était vraiment pas le moment. Malgré la tension palpable dans l’atmosphère, l’autre affichait toujours un rictus joyeux, ne s’inquiétant aucunement de sa situation. Il posa doucement sa main sur le poignet du Jou, l’incitant à le lâcher, puis il lissa ses vêtements. Son sourire s’évapora instantanément. Presque instinctivement, Renzo recula d’un bond, sur la défensive. L’inconnu se releva, la mine bien moins chaleureuse. Le jeune homme l’analysa de la tête au pied, plein de dédain. Il claqua sa langue contre son palais puis, après ce qui sembla être des heures, s’exclama à nouveau :
« Ton père m’a demandé de te transmettre un message. Cesse de te reposer sur lui pour lisser ta réputation. Il est fortement déçu de toi. Sans lui, tu n’es donc rien ? Ressaisis-toi. Tu n’es pas Eiji. Tu ne seras jamais lui. Rentre-toi ça dans le crâne, parce que si tu t’attaches trop à cette image... Tu mourras sans n’avoir jamais rien accompli et ton père rayera ton nom des mémoires. »
C’était comme si un pieu venait d’être enfoncé dans son cœur. Dès sa naissance, Renzo s’était vu s’être fait arracher les ailes par son géniteur et voilà qu’aujourd’hui il lui proposait d’à nouveau voler ? Ça n’avait pas de sens. L’inconnu enfila à nouveau son masque de sympathie, commençant à s’éloigner, puis avant de partir il conclut.
« A ta place, j’arrêterai de lui obéir au doigt et à l’œil. Enfin bon, tu fais bien ce que tu veux, fils d’Eiji. »
Il venait lui transmettre un ordre de son père pour finalement lui dire de ne pas obéir ? Les bras du jeune Jou retombèrent le long de ses jambes, il avait la sensation que cette discussion l’avait épuisé. Il se doutait bien que son géniteur lui communiquerait des conseils, mais cela ne faisait qu’à peine deux semaines qu’il était entré à l’académie. Comment, en si peu de temps, avait-il réussi à le décevoir ? Il serra les poings. Sa voix se fit plus puissante lorsqu’il releva le menton, affichant un air supérieur et arrogant.
« Dit-il alors qu’il joue le pigeon voyageur pour Eiji. Va jacter ailleurs. »
L’autre sembla rire, ses épaules secouées de légers spasmes. Il disparut en s’engouffrant dans un portail, le laissant seul. Un autre membre du Clan Jou, apparemment. Renzo souffla puis jeta un regard sur la cannette neuve que l’inconnu avait laissé là. Il pesta et s’éloigna, abandonnant le soda sur cet escalier. Il devait donc se détacher de l’image de son père, ne plus le copier... Comment était-il censé faire ? Toute sa vie, il lui avait répété qu’il devait le représenter, être comme lui, et voilà qu’aujourd’hui il revenait sur ses paroles. Il n’avait aucune idée de la façon dont il était censé s’y prendre pour se forger sa propre image. Peut-être devait-il envisager de fréquenter d’autres personnes. Manger à l’intérieur, avec les autres, n’était peut-être finalement pas une si mauvaise idée...
Quel anniversaire merdique.