Les circonstances de ma naissance restent, aujourd’hui encore, auréolées de mystère. Abandonné, rapté, acheté, ou bien simplement remis à une personne de confiance ? Enfant, j’y ai songé, mais, finalement, cela importe bien peu.
D’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours vécu avec grand père (en tous cas c’est comme ça que je l’appelais). On habitait une vieille masure franchement un peu minable. Mais convenable. Largement convenable. Je m’y voyais y mourir dans ce taudis, dans ce trou paumé dans les altitudes d’Hokkaidō.
Le village dans lequel on vivait était l’un des seuls endroits restants sur l’archipel nippone étant un tant soit peu oublié du tentaculaire Léviathan qu’est l’Empire régnant ci-bas ; après tout, qu’y-a-t-il de bien intéressant à tyranniser dans un vieux tas de neige ? Certes, la dissension peut venir de partout, mais certainement pas d’une communauté qui pour une moitié d’entre eux avaient déjà un pied dans la tombe. M’enfin, dans le pays tout le monde se fait un peu vieux vous me direz…
Par chez nous il n’y avait pas grand chose ; des cailloux, mais aucun de précieux, et pas assez de main-d’œuvre pour faire une carrière de toutes façons. Ni les conditions climatiques d’ailleurs. On avait quelques animaux aussi, et des champs, mais comme on se les pêle huit mois sur douze là-bas (plutôt douze en fait) et que le soleil se fait capricieux plus on monte vers le nord, et bien il est difficile de produire à profit.
Ce qu’on faisait bien c’était le saké, par extension le riz, une sorte de genshu bien fort. Bien plus que ce que l’on trouve ailleurs. Le travail manuel, aux champs, avec les bêtes, la menuiserie, la chasse même parfois - pour notre compte ou pour aider les voisins, le quotidien était rythmé par toutes ces choses. Et les aléas de la nature, aussi. Quand il faisait vraiment froid on s’emmitouflait comme on le pouvait, on brûlait des bûches dans nos chaumières et on espérait avoir assez pour passer l’hiver. De grosses tempêtes de neige nous frappaient quelquefois, si bien que lors de celles-ci nombre d’infrastructures partaient en lambeaux. A force, les autorités ont fini par abandonner l’idée de toujours rénover les lignes électriques nous approvisionnant en énergie. Alors, les interrupteurs, les écrans… j’en ai entendu parler, et j’en ai de vagues souvenirs, ceux d’une époque révolue.
Du coup, forcément, l’Empire moi j’ai pas trop connu ; notre hameau était assez inintéressant pour que… on ne s’y intéresse pas, justement. Pour autant, j’ai souvenir d’avoir vu des officiers stationner chez nous par le passé, mais ils semblaient plus intéressés par le fait de boire et vite se casser que de faire la loi. Ceux qu’on voyait le plus souvent c’était les yakuzas. De vulgaires bandits, soyons clairs. Ils venaient d’un village plus grand que le notre en contrebas, à quelques heures de marche. Plus rapide en véhicule. Ils venaient surtout quand le temps était plus clément. Pour commercer qu’ils disent. Ils venaient se mettre des mines, mal nous parler, mal nous regarder, mais ils repartaient avec des caisses d’alcool, et parfois nous ramenaient certains produits comme des vêtements ou autre. Ils n’étaient pas notre seul lien au monde extérieur évidemment, quelques autres jeunes du village (surtout un en fait) faisaient régulièrement la navette. Moi ça ne m’a jamais attiré. Ces gens étaient vulgaires, et puis il valait mieux que je reste ici, grand père prenait de l’âge.
Muten, c’était son nom. Il avait toujours été bon avec moi, m’a nourri, logé, éduqué, enseigné l’écriture, la lecture, le travail de la terre également. Un homme bon, simple, honnête, quoiqu’un peu extravagant. Le bougre était, il faut le dire, un sacré rigolo. Doté d’une verbe incisive, presque acerbe, et d’un sens du cynisme et de l’auto-dérision peu commun, chaque conversation amenait son lot de rires, que ce soit des ragots frivoles, des leçons de vie ou des conversations simplement insensées. Il se plaisait à radoter sur ses belles années, son âge d’or, son ancienne vie citadine, sur ses aventures de jeune homme, odysséennes comme amoureuses en tant que tombeur de ces dames. Aussi, et un peu comme tous les vieux, il s’épanchait en de longs monologues sur la ruine existentielle à laquelle était destinée la nouvelle génération: « De mon temps, les choses étaient bien mieux, les gens plus respectueux… » et bla, et bla, et bla… zzzzZZZZ…. Il restait néanmoins un homme raisonnable et révérencieux, des valeurs qu’il m’a inculquées.
En somme, j’ai été gâté par les Moires. J’ai eu la chance de vivre une vie calme, paisible, bien qu’un peu solitaire. Les populations rurales sont effectivement plus âgées, mais, surtout - et l’évidence est bien trop frappante pour ne point l’évoquer, je sortais du lot par le phénotype. Moi et mes traits caucasiens, définitivement, germaniques ou scandinaves, peut-être, au milieu de cette masse informe, presque terne. Cette petite troupe avait tous les yeux et les cheveux sombres… alors moi, je faisais tâche comme une verrue au milieu de la figure. Evidemment, je m’en suis interrogé, et, ces interrogations, je les ai portées à grand père : soit il n’avait les réponses que je cherchais, soit il ne daignait me les apporter. Mais cela importe peu désormais ; c’est du passé.
Du passé, oui, car, ce jour là… Everything changed when the fire nation attacked.