LANCEMENT DU PREMIER EVENT le 01/04/2024Soyez au rendez-vous !
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LANCEMENT DU PREMIER EVENT le 01/04/2024Soyez au rendez-vous !
DEAD CAN DANCE (O-Bon)Arc I : Big Boom Theory
Le métis claqua la porte de son placard, enrageant de ne plus avoir la moindre bouteille de vin italien. Il était déjà compliqué dans ce pays de trouver du vin qui méritait d’être appelé « piquette de merde », alors une vraie bouteille de vin, c’était mission impossible, encore plus dans cette société autocratique qu’était le nouvel empire du Japon, enfermé dans un profond isolationnisme qui rappelait toujours a Menocchio la politique moderne du sakkoku.
Le grand brûlé n’en avait que faire de la politique, ni de l’Empire, cependant, lorsque ce dernier se trouvait entre lui et ce qu’il désirait, les choses n’étaient plus aussi simples. Menocchio haïssait de plus en plus le Japon ces derniers temps.
Ce pays ne ressemblait plus à celui dans lequel il avait fait ces études et où il avait été à l’acmé du bonheur.
Il ne considérait pas que le pays du soleil levant était sa patrie, il était aïnou lui, sa culture, son ethnie, ses habitudes, il n’était pas japonais. Et encore après, il était frioulan et bien que jamais il n’était allé en Italie, ni au Frioul, il considérait que c’était sa deuxième patrie. Le Japon n’était que la terre où il était obligé de travailler, une terre qui le haïssait, les gens comme lui, les sang-mêlés, les kuso-gaijin. Il portait la tare irrémédiable d’être né de quelqu’un qui n’était pas japonais et cela était un crime. C’était en tout point ridicule, tous ces changements sociétaux.
Seule l'infinie éternité des traditions faisait du sens. Ce qui n’évoluait pas, portait le sceau éternel d’une perfection inégalable.
Menocchio, enfermé dans Nagoya et l’académie d’exorcisme, ne s’était jamais sentis réellement concerné et le mépris avait finit par éteindre son cœur, si bien que le métis n’en avait que faire des idées reçues et du mépris sur les étrangers, comme les métis. Il vivait dans le monde à part de l’exorcisme et grâce à ses odieuses cicatrices, il n’était plus physiquement possible de le distinguer.
Menocchio était au-dessus du monde mortel et de ses considérations.
Enfin, sauf quand il était question de vin. C’était une question capitale pour le métis qui bradait déjà son bon goût et s’accommodant de l’horrible cuisine italienne qu’on trouvait ici au Japon. La gastronomie italienne était la seule chose qui rattachait encore l’exorciste aux origines de ses sorts, de son clan, de feu son père, perdre ce lien était quelque chose d’inacceptable.
De dépit, de n’avoir plus la moindre goutte d’alcool potable, le métis ouvrit la porte coulissante de sa chambre, donnant sur l’infinie voûte céleste constellée d’étoile brillantes, miroitant de mille-et-un feux. Il finit par s’asseoir, les jambes battant dans le vide, sentant le vent frais lui caresser le visage. C’était agréable.
Toutes ces pensées, sur l’horrible gastronomie italienne, le sort des étrangers et l’ingérence du nouvel Empire dans l’export avaient poussé Menocchio à repenser à Momoe Senatore. Une italo-japonaise tout comme lui.
Elle était celle qui le fournissait en vin italien de qualité allant de correct à sublime, selon les aléas de la contrebande. Elle possédait un bar à Tokyo, qui était la face visible cachant la contrebande. Le métis n’aimait pas particulièrement ceux qui contrevenaient aux règles, cependant, s’il n’était question que des règles de l’Empire, le grand brûlé pouvait bien avouer qu’il n’en avait que faire.
L’Empire pouvait bien brûler tout entier, que le métis ne se sentirait pas concerné.
Le bar de Momoe, plus que d’être la plaque tournante d’un trafic bien huilé, était aussi un point de rendez-vous pour les gens comme eux, le syncrétisme de deux cultures. Ce n’était pas l’aspect qui intéressait le métis, qui ne se sentait pas concerné, il n’était pas un paria, a Hokkaido, il était intégré parmi les siens. Non, seul l’amour de l’Italie et de la gastronomie pouvait bien motiver Menocchio.
En repensant à cet endroit où il se rendait de temps en temps, une fois par mois pour acheter les nouvelles opportunités de vins, inévitablement, le métis repensa à leurs rencontres, il y a de cela bien des années. Il était déjà le monstre horrible défiguré à vie, mais elle n’avait pas encore la même renommée au sein de son bar.
Oui, il l’avait trouvé il y a des années, avant qu’elle ne soit installée. Il l’avait trouvé parce que Menocchio était quelqu’un de complètement obsessionnel, quand il avait une idée en tête, pire qu’une meute de Lycaon, il n’abandonnait jamais jusqu’à avoir triomphé. De fait, le métis avait remué tout le Japon, à la recherche du moindre petit vendeur de contrebande de produit italien. Il avait écouté chaque petit bruit pour enfin trouver du vin italien et Momoe par la même occasion.
Ses obsessions l’avaient mené ainsi, vers un bar qui n’avait pas encore ouvert, un soir d’hiver, alors que la neige tombait à gros flocons. Menocchio n’était pas venu en tant qu’exorciste, ainsi, il n’était que Domenico Scandella XVIII ce soir-là, Domenico ne portait jamais l’attirail qui cachait au monde l’horreur de sa face. Non, il ne portait qu’un costume brun foncé, avec un kimono au mon Koutetsu, rembourré de laine. Un chapeau cachait le crâne à la peau distordu, un masque en tissus, les fines lèvres tordues et des lunettes en verre teinté, empêchait de voir luire la lueur mélancolique et malheureuse du métis. Domenico avait laissé l’exorciste au placard et il était ici en tant qu’italien avant tout.
Il était arrivé devant la devanture entrouverte d’un bar, ou était posé une caisse, d’où les goulots de bouteille de vin émergeait, de l’italien, du Bardolino même. C’était exactement le bon endroit et confirmait d’une certaine manière, les talents de contrebandière de celle qu’il savait s’appelait Momoe Senatore, sans pour autant savoir à quoi elle ressemblait.
Domenico frappa alors contre la devanture, faisant claquer l’acier du rideau, puis il attendit qu’on vienne lui répondre. Il commençait presque à saliver du bon vin qu’il pourrait trouver ici. Cet endroit pouvait combler un manque de plusieurs années en lui.
Quelques grognements féminins aux grands –r roulé, étouffés par la tôle trahirent l’arrivée de la propriétaire du bar. C'était une évidente Italienne, qui quelques instants après ouvrit en grand la devanture de son bar. Domenico, qui avait toujours été gigantesque selon les standards japonais, venait de découvrir plus grand que lui. Momoe le dépassait facilement et pour la première fois de sa vie, le métis se sentit tout petit.
Était-ce cela que ressentaient les Japonais en sa présence, cette impression de n’être qu’un vulgaire insecte ?
La jeune femme, en plus d’être grande possédait un œil tout blanc et une longue chevelure immaculé elle aussi. A bien y regarder, le grand brûlé était déstabilisé de tomber que quelqu’un qui lui ressemblait… Après plusieurs dizaines d’années et depuis extrêmement longtemps, Domenico se sentit un peu moins seul.
Le métis était tellement sidéré, chose si rare, qu’il mit quelques instants à retrouver ces esprits et comprendre qu’on lui avait parlé. Il souleva son chapeau, s’inclinant légèrement, laissant apercevoir le haut de son crâne où la peau distordu et rose vif trahissait de manière irrémédiable l’apparence du grand brûlé.
« Excusez-moi de vous dérangez. Madame Senatore, si je ne m’abuse ? Je suis Domenico Scandella XVIII, j’ai eu ouïe dire que vous étiez amatrice de bon vin et - le métis désigna du bout de son soulier, les caisses entreposées devant l’établissement - je serais intéressé pour vous délester d’une partie de vos bouteilles. »
Rien, qu’à voir les bouteilles, Domenico sentait l’eau lui monter à la bouche, il se souvenait encore du bouquet, du parfum des vins de sa jeunesse et le fugace souvenir l’enivrait profondément. Il rêvait de toutes ces bouteilles de vin et devant une telle qualité et un tel choix, les dernières réticences déjà peu nombreuses à bafouer les règles et lois sans intérêts de l’Empire s’envolèrent.
« Il fait froid et je vois que vous êtes peu habillé, puis-je abuser et me permettre de vous demander la possibilité de discuter à l’intérieur ? »
La voix était rauque et grave comme toujours, sans énormément d’émotion, mais beaucoup de politesse. Il neigeait beaucoup et Domenico ne souhaitait pas voir la jeune femme tomber malade. Non pas qu’il s’était attaché déjà à Momoe en ne l’ayant vu qu’une seule et unique petite fois, mais le métis voulait prendre grand soin d’elle. Elle possédait d’évidentes capacités de contrebande qui intéressait le grand brûlé. C’était peut-être la seule chance de la vie de sa vie que de pouvoir s’approvisionner en bon vin auprès d’une compatriote.
Il avait besoin d’elle, de son alcool pour retisser le lien sacré qui avait été rompus quand il avait dû enterrer son père. C’était une quête identitaire pour Domenico que de gagner la confiance de la jeune femme pour pouvoir faire affaire avec elle. Dans sa vie d’ascèse, le métis avait accumulé de l’argent qu’il pouvait investir dans l’affaire si cela lui permettait de récolter le divin nectar.
Le grand brûlé espérait désormais ne pas se faire trop refouler.
Derrière ces lunettes, Domenico toisa Momoe qui tiqua très légèrement à l'évocation de son nom. Cela faisait dix-huit générations que le premier-né des Scandella héritait du nom de son père et c’était une grande fierté absolue pour le métis. De plus il n’aurait pas supporter qu’on se moque de ce nom dans cette dix-huitième itération.
Ce nom qu’il arborait civilement, celui de Domenico Scandella était le nom de son père, son pauvre géniteur décédé tué par un fléau. Après avoir perdu l’amour de sa vie et son père en l’espèce de quelques années alors qu’il n’était qu’un jeune homme, le métis s’était renforcé, avait refroidis son cœur, repoussé ses amis, il était devenu le monstre que tous avaient voulu voir en lui.
Ce nom, c’était la seule chose qui lui restait de son père, maintenant qu’il avait été défiguré et que son visage n’avait plus rien à voir avec celui qu’il avait eu. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. À bien y réfléchir, le grand brûlé aimait plus le nom de « Domenico Scandella » que celui de « Menocchio », vu qu’il préférait son bien-aimé père que l’exorciste qu’il était.
Heureusement pour Momoe, elle ne se moqua pas du nom du métis, ni ne fit de commentaire. Il n'y avait donc pas de problème. Si elle avait persisté alors… alors il aurait peut-être bien exécuté la jeune femme dans un accès de colère.
Il aimait plus son nom que le vin d’Italie.
La borgne précisa qu’elle était bien celle que Domenico cherchait et il put alors être absolument sûr de quelque chose que déjà, il avait plus que soupçonné. C’était une évidence qu’une hafu devant un bâtiment à moitié ouvert où des caisses de vin italiens traînaient, ne pouvait qu’être Momoe Senatore. Dans le cas ou elle aurait nié, le métis ne l’aurait tout simplement pas cru et il aurait alors dû… Insister…
Mais la métisse semblait être quelqu’un qui avait la tête sur les épaules et elle acquiesça au fait qu’une conversation à l’intérieur serait plus pertinente et elle demanda de l’aide au grand brûlé qui accepta de bon cœur. Cela avancerait définitivement le moment où ils pourraient parler. Domenico reposa son chapeau sur sa tête, avant d’empoigner les caisses et de les rentrer une par une, lorgnant sur les étiquettes.
En rentrant dans le bar, une vague de chaleur et de son l’envahit, c’était du rock italien, pas vraiment le style de musique de Domenico qui préférait les chants gutturaux mongol, mais cela lui rappelait une nouvelle fois son père qui écoutait cela quand il était petit, une vague de nostalgie envahit alors l’homme. Il découvrit en plus des cartons, non ouverts, c’était encore en plein déménagement.
Il ne fallut pas longtemps aux deux métis pour terminer de rentrer les boites. Et une fois terminé, Momoe attaqua en demandant au grand brûlé comment il l’avait trouvé. Domenico resta silencieux quelques instants, profitant d’une chaise pour déposer son kimono et son chapeau. Puis il se tourna vers la jeune femme, retira son masque pour laisser apercevoir à quel point les joues et les lèvres de l’homme étaient défigurées par des brûlures horribles. Seuls ses yeux étaient encore voilés par le port des lunettes en verre teinté.
Pour le métis, la douleur était encore là, vive et puissante comme au premier jour, sans qu’il ne puisse rien y faire. Il souffrait le martyre perpétuellement.
« Supposons simplement que j’ai écouté des rumeurs, autant de rumeurs qu'il le fallait jusqu’à tomber sur une rumeur crédible et satisfaisante, celle d’une métisse venant d’Italie souhaitant ouvrir un bar et capable de trouver ce que nul n’est capable de trouver dans ce pays. »
Domenico hocha les épaules. Il avait ses méthodes pour trouver ce qu’il voulait trouver et il ne souhaitait pas s’appesantir dessus, ce n’était pas ce qui importait réellement.
« De toutes les personnes dont j’ai entendu parler, j’ai eu l’impression que vous étiez la plus compétente et celle en qui je pouvais le plus croire. C’était un pari que de venir ici. »
Pour autant, le métis ne pensait pas se tromper, il avait un bon pressentiment sur cette jeune femme. Les fines lèvres distordues s’arquèrent dans un rictus indescriptible.
« Je suis prêt à vous acheter mensuellement une partie de ce que vous serez capable d’importer. Je suis ici pour négocier un peu ce qu’il est possible de faire et peut-être de participer un peu à cette entreprise. »
Les yeux cachés, le grand brûlé attendait la réponse de Momoe, mais ses deux prunelles luisaient de désir pour tout ce vin, de cette occasion de retisser ce lien perdu avec ce géniteur disparu.
Le langage non-verbal de la jeune femme suffisait à comprendre qu’elle n’était pas dans une très bonne situation, vu que toutes les belles paroles mielleuses du métis avaient été à deux doigts de la faire rougir et gigoter sur place, tellement ce qu’elle entendait lui plaisait. Domenico pariait dans cette histoire, beaucoup d’argent, car Momoe n’était pas installée et donc, les retours de bâton étaient possibles.
Pour quelqu’un de manipulateur et consciencieux comme le grand brûlé, accepté de prendre des risques démontrait que l’affaire en valait la peine et surtout qu’elle comptait pour lui. Dans ce hideux monde dans lequel il vivait, Domenico haïssait beaucoup de choses et rien ne comptait réellement à ses yeux… À part peut-être du vin.
Dans cette entreprise qui se dessinait, chacun avait dû pouvoir sur l’autre, car Momoe pouvait donner une des seules choses qui comptait pour le métis, quant à ce dernier, offrir l’argent une certaine stabilité. Sans s’en rendre compte, au fur et à mesure de la discussion, leurs destins se nouaient entre eux, jusqu’à rendre impossible de séparer les intérêts des deux.
Cela amusait de voir l’insouciance de la jeune femme. Il avait eu une insouciance semblable, dans une autre vie, dans un autre temps, où l’irascible et impitoyable professeur était un doux et chaleureux jeune homme qui se passionnait pour l’automobile et était un rebelle assumé. Ainsi, Domenico se sentit en sécurité et se laissa aller à une simple et unique plaisanterie, d’une voix rieuse qui ne l’était plus depuis des années.
« Il n’y a pas de fumée sans feu, pas de rumeurs sans actes. Je ne doute pas que votre projet plaise et certaines personnes en parle. »
La métisse semblait folle de joie que le métis puisse acheter quelque chose, tout son corps suintait d’une fierté invisible qui dégoulinait par tous ces pores. Et en bonne marchandeuse, elle s’assura d’énoncer les termes du fructueux contrat qui s’écrivait dans la tête des deux nippo-italiens.
Ces termes ne choquaient pas Domenico qui comprenait que la santé économique du bar passait comme condition première, si ce n’était sine qua non pour avoir du vin, donc, que le prix soit élevé, pour qu’il y ait une marge était quelque chose que le métis acceptait, il s’était préparé à cette idée.
Mais Momoe était aussi une habile marchandeuse, car pour celui qui était un de ses premiers alliés, elle était prête à faire de petits prix d’ami. Amis, ils l’étaient ? Voilà seulement quelques phrases qu’ils s’étaient envoyées, de la prose sans fioriture et voilà qu’ils étaient amis, alors qu’ils ne connaissaient rien de l’autre. Chacun ayant un secret, alors même qu’ils avaient le même secret concernant le monde occulte auquel ils faisaient partie.
Momoe était peut-être la première amie que Domenico se faisait depuis des années, depuis que… depuis que la vie lui avait tout arraché.
Comme un pacte tacite approuvé, un pacte de fidélité à l’autre pour ne pas sombrer à deux, Domenico hocha la tête, alors que sa voix râpeuse grinça :
« Il est évident que je ne vous ferais pas vendre à perte, cela n’aidera aucun de nous. En venant ici, je savais que je devrais payer un prix élevé pour du vrai bon vin, cependant, c’est quelque chose qui m’est nécessaire. »
Pourquoi le métis s’ouvrait ? Parce qu’il n’était pas Menocchio et que Domenico pouvait s’ouvrir, cela n’avait qu’un risque modéré, perdre un peu d’argent, mais ne mettrait pas en danger l’exorciste qui avait une soif insatiable de puissance et de pouvoir et contre qui, le moindre secret pourrait jouer en sa défaveur. Si cela échouait, il aurait juste à supporter de boire de la piquette pour quelques années de plus.
« Je n’ai pas besoin de prix d’ami pour l’instant, tant que cette affaire ne sera pas stabilisée, utiliser tout l’argent que vous voudrez pour améliorer vos approvisionnements ne pourras que m’aider. »
Le grand brûlé savait négocier et marchander, il savait ce qui avait de l’importance et il préférait payer plus cher pour s’assurer un futur fructueux dégoulinant de vin, qu’un futur âpre à voir vomir d’une piquette malodorante.
« Ce genre d’arrangement, vous conviendrait-il Mademoiselle Senatore ? »