Yata no Kagami [ 八咫鏡 ]Et ainsi,
nous percevrons l'immensité d'un monde factice ;
si ce n'est réel à l'instant même.
Ne nous étions jamais douté, ne serait-ce qu'un fugace instant que notre propre clan possédait en son sein une part d'ombre aussi mouvante que son histoire n'est ancrée dans les pages noircies par le temps ; jaunâtre à être conservés à même l'air ambiant, lourd et sec de cette bibliothèque immense. Nous n'aurions jamais pu nous en douter puisque nous étions et nous conversons encore aujourd'hui, cette obéissance ancrée dans notre sang ; dans notre corps ; dans nos mouvements - de cette posture à étendre nos doigts, nos paumes sur les tatamis, notre fessier posé à même nos talons ; baissant notre menton vers notre sternum pour mieux supporter de voir apparaître le sol quand nous penchons le haut de notre corps vers l'avant. Enfant habitué à écouter ses aînés avec la plus grande attention que nous le pouvions ; de cette envie de bien vouloir nous faire voir par ceux de la branche principale et comprenant où était notre place en ce monde, en cette demeure immense et si calme ; écoutant les précepteurs dans les salles aménagées pour nous apprendre l'histoire, l'énergie occulte et tous ces mots qui composent le monde dont nous étions nés et qui nous plaçait entre celui d'un profane et d'un exorciste. Il avait suffi de passer un certain seuil d'âge pour comprendre que nous n'atteindrons jamais cette autre branche, que nous resterons perchés sur la nôtre, et cela, jusqu'à la mort frappe à notre porte - ce qu'elle ne saurait tarder ; une simple piqûre sur le bout de notre doigt, une simple sensation de chaleur et des pleurs incontrôlables à la vue de notre propre sang ; nous préférions voir le soleil à travers les fenêtres, les particules fines de poussières fixées dans cet air sans jamais bouger réellement.
Souhaitions-nous braver l'interdit au profit de notre curiosité mal placée et presque malsaine ? Tout nous fut inculqué pour savoir que certains endroits nous étaient interdits, sous peine de représailles assez lourdes - nous étions bien trop jeunes pour comprendre la portée réelle d'un acte et des conséquences qui en découlerait ; mais jamais, au grand jamais, plus que ce jour, la curiosité fut une qualité, bien loin de là. Nous ne faisions qu'effleurer avec un regard presque avide les enfants de notre âge, de ceux possédant ce sort héréditaire si bien conservé et si bien accueilli ; nous étions curieux de savoir quelle sensation cela ferait de faire couler son sang le long de son bras, subtilement refroidi avant de l'utiliser contre autrui - nous nettoyons derrière eux et nous savions pour avoir vu les salles d'entraînement à quel point cela pouvait perforer avec précision une cible mouvante ; nous ne pouvions pas encore savoir à quel point cela était meurtrier, à quel point cela était dangereux pour l'utilisateur, à quel point envier autrui n'était pas bon pour notre développement personnel, à quel point notre curiosité aurais dû nous arrêter à ce moment où nous avons pris ce couteau pour nous faire une entaille qui nous fit bien plus que grimacer en le lâchant. Nous savions que nous ne possédions pas ce sort, alors pourquoi avoir tenté ? Question posée par nos propres parents - déjà lassée de voir que même née en jour de célébrations ; nous ne pourrions devenir une fierté pour eux - que l'amour que certains enfants possédaient en ce monde en embrassant leurs parents, nous ne le connaîtrions jamais et nous nous contentions de cela ; ne pas voir ce que nous n'avons pas nous permettait de ne pas comparer et nous permettait de ne pas pleurer sur un amour parental.
Et nous commettrons ;
l'acte de vouloir changer de branche ;
mais le rouge gorge n'aurait pas dû.
Nous n'aurions pas dû nous réveiller par ce cauchemar, par cette soudaine envie désespérée de nous laver des impuretés qui nous souillaient en rampant le long de nos membres pour mieux s'infiltrer au creux de notre gorge douloureuse ; nous n'aurions jamais dû nous lever en rampant discrètement pour sortir de notre chambre en refermant doucement le fusuma - pointes des pieds pour ne pas réveiller ceux dormants de beaux rêves sans nul doute. Nous n'aurions jamais dû aller au puits pour nous y déshydrater malgré notre petite peur des bruits environnants de la nature ; nous savions que nous étions protégés des fléaux - nous savions que nous ne risquions rien ; et pourtant, même en connaissant presque les yeux fermés la composition de la demeure où nous étions, nos pieds se calèrent sur un autre chemin. Fatigué et perdu aurait pu nous aider pour nous défendre - mais nous aurions éhontément menti ; et nous n'étions pas le genre d'enfants à mentir aux adultes ; nous aurions peut-être dû, nous aurions sûrement dû - car nous nous dirigions vers un endroit qui nous était formellement interdit ; d'un enfoncement de marches dans l'obscurité la plus totale.
Nos mains sur le mur, n'appréciant guère le ressenti sur nos doigts ; avançant avec précaution, pas après pas, marche après marche, pour descendre toujours plus bas ; l'obscurité se dissipant légèrement quand nous approchâmes d'une lampe à huile, dont la faible lueur nous permit d'en voir une plus loin, une encore plus loin, toujours plus. Nous ne pouvions pas faire marche arrière - quitte à être descendu si bas, nous pouvions bien marcher un peu plus, n'est-ce pas, n'est-ce pas ?
((nous n'aurions jamais dû !))Un pied devant l'autre, déglutissant avec peine notre salive devenu bien acide dans notre trachée, nous ne savions pas à quoi nous attendre - les fantômes n'existaient pas, ni les monstres, non ? Une porte se dressait au bout de ce long couloir, une porte entrebâillée comme pour laisser le soin à un fouineur de pouvoir regarder par là - nous étions ledit fouineur et nous nous accroupissions, persuadés de ne rien voir qui aurait pu nous choquer. Que nous étions sots ! Nos membres s'entrechoquèrent d'une peur suintant, remontant le long de notre dos pour bien faire claquer nos dents entre elles, d'un tremblement que même la chaleur n'aurait pu soigner ; d'une envie de bille qui nous força à essayer d'avaler plusieurs fois pour ne pas laisser notre estomac régurgitait tout ce qu'il contenait - d'une horreur si palpable que même en frottant nos yeux au calcaire, nous ne pourrions plus jamais effacer de notre cervelle la scène qui se déroulait derrière cette porte. Nous n'aurions jamais dû descendre, nous n'aurions jamais dû entendre ces sons qui nous hanteraient pour des décennies, nous n'aurions jamais dû ne serait-ce que laisser la curiosité prendre place dans notre coeur ; nous aurions dû nous repentir de nos pêchés en les confiant à notre mère avant de commettre l'irréparable. Mais il était trop tard, bien trop tard, tandis que nos jambes lâchèrent, tandis que notre cerveau nous lâcha tout autant, tandis que nous sombrions dans l'obscurité en entendant des pas approchaient vers nous ; nous n'aurions jamais, jamais, jamais, jamais, jamais dû !
jamais, plus jamais, sauvez-nous, libérez-nous de ces souvenirs !
à l'aide ...
Par pitié, ou bien voyant nettement que nous étions terrorisés - sans savoir si cela était dû à toute cette scène morbide vue plus tôt dans la nuit ou par la puissance des individus présents dans la pièce présente ; nous écoutâmes avec attention la sanction émise par ces grands qui nous regardaient avec un mélange de dégoût, de colère ou de dépit ; nous entendions très clairement le mot « bannissement » et nous sûmes que nous n'aurions jamais dû désobéir, que nous n'aurions jamais dû naître ; malgré notre corps affaibli, nous nous inclinâmes plusieurs fois, notre morve et nos larmes se mêlant entre elles pour mieux se fondre. Nous nous excusions, nous jurions - nous n'aurions jamais dû - sur tout ce qui nous était cher de ne plus jamais désobéir, nous n'aurions jamais dû ! N'était ce pas la règle la plus basique qui soit de ne jamais prêter serment ? Mais nous ne voulions pas finir seuls, nous ne voulions pas perdre notre famille, nous ne voulions pas perdre ce nom de famille - maudit - ; nous ne voulions rien de cela, alors nous oubliâmes tout simplement cette règle pour nous plier en quatre ; à notre grand dam.
De cela, plusieurs choses en découlèrent ; nous fûmes mal vu, non fiable, par ce clan - nous ne pourrions jamais prétendre à un titre plus honorifique, nous ne pourrions jamais monter dans cette hiérarchie et nous resterons à jamais un sous fifre, si ce n'est un déchet, un bouc émissaire - on nous laissas être diplômé de Nagoya tout simplement car nous fumes soumis et que nous rasions assez les murs pour qu'on nous oublie ; on nous méprisa ouvertement et nous savions que nous le méritions. À peine diplômés, nous préférâmes entrer dans la garde de Chubu pour prouver notre loyauté à ce clan, pour nous échapper de cette prison - de cette résidence, de ces regards omniprésents ; ces souvenirs horribles, ces années à ne fréquenter rien d'autre que des livres en ne voulant et ne pouvant toucher personne, poussa notre mysophobie à se développer - notre corps déjà ensanglanté par tant de lavements intempestifs ; un corps bien développé par ces heures à ne pouvoir rien faire. Notre comportement devient hargneux à tous ceux ou celles osant, ne serait-ce que s'approcher de nous et nous ne prenions plus aucun gant pour ne pas mépriser autrui ; obéissant aux plus hauts gradés tel un bon toutou - mais nous ne rêvions pas, nous n'étions qu'utile et les années passèrent avant qu'on ne nous informe de notre mariage - un soulagement évident par nos parents qui nous laissèrent partir pour Tokyo en sachant pertinemment que nous n'y serions pas le bienvenu. Nous fîmes ce qu'on nous demanda en prenant un appartement à côté de notre femme - sans jamais la toucher, sans jamais ne serait-ce que nous rapprocher d'elle ; nous savions que nous aurions du mal à obtenir un travail, nous savions que nous serions méprisés en cette académie, mais est-ce que cela changerait de d'habitude ? Aucunement. Nettoyant proprement les salles d'entraînement, allant sur des scènes de crime quand nos supérieurs nous l'ordonnaient ; nous ne nous leurrons pas ; ce nom de famille nous souille jusqu'au profond.
((Kamo))
Peste occultedétruire, détruire, détruire
A L'AIDE ...
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